Commander en Chine à bas prix est devenu une habitude pour de nombreux consommateurs. Avec des plateformes comme AliExpress, Shein, Temu et bien d'autres, il est possible d'obtenir des produits à des tarifs imbattables et souvent avec des frais de port très faibles, voire gratuits. Si les aspects écologiques et sociaux sont souvent mis en avant pour critiquer ces achats, un autre problème, plus discret mais tout aussi impactant, touche directement chaque citoyen français, qu'il commande ou non en Chine ➡️ l'augmentation du prix du timbre.
La réponse tient en une règle postale mondiale. Le système international des envois de courrier et de colis est régi par l'Union Postale Universelle (UPU), une organisation qui fixe les tarifs de distribution des envois internationaux. Historiquement, ce système visait à aider les pays en développement en leur permettant d'expédier du courrier à moindre coût. Or, la Chine, malgré son statut de deuxième puissance économique mondiale, bénéficie toujours de ces avantages tarifaires.
Concrètement, cela signifie que l'expédition d'un petit colis depuis la Chine vers la France coûte moins cher qu'un envoi national entre deux villes françaises ! Les plateformes chinoises profitent donc de ce décalage pour proposer des frais de port ridiculement bas, rendant leurs produits encore plus attractifs.
Une fois le colis arrivé en France, c'est La Poste qui prend le relais pour l'acheminer jusqu'au destinataire. Mais à cause des accords internationaux de l'UPU, elle ne reçoit qu'une rémunération très faible pour ce service, bien inférieure au coût réel du traitement et de la distribution du colis. En résumé, chaque paquet venant de Chine représente une perte financière pour La Poste.
Ces pertes doivent être compensées quelque part. Et devinez qui paie la facture ? Les usagers classiques de La Poste, notamment par l'augmentation régulière du prix du timbre et des services postaux. En d'autres termes, même si vous n'avez jamais commandé sur AliExpress ou Shein, vous en subissez quand même les conséquences sur vos envois de courrier et de colis.
La France n'est pas le seul pays touché par ce phénomène. Aux États-Unis, la Poste (USPS) a subi des pertes colossales en raison de l'explosion des colis venant de Chine.
Historiquement, l'USPS était une entreprise rentable. Mais en 2006, une loi du Congrès américain, le Postal Accountability and Enhancement Act (PAEA), a imposé à l'USPS de pré-financer les retraites de ses employés pour les 75 prochaines années. Une obligation unique dans le monde, qui a commencé à creuser son déficit.
Année | Situation financière |
---|---|
Avant 2006 | USPS était globalement rentable |
2007-2019 | Pertes accumulées de 69 milliards de dollars |
2019 | Pertes de 8,8 milliards de dollars sur 71,1 milliards de revenus |
2023 | Pertes de 6,5 milliards de dollars, avec un volume de courrier en chute |
2024 | Pertes de 9,5 milliards de dollars, impacté par l'augmentation des coûts |
Avec son arrivé en 2010, AliExpress, puis d’autres plateformes chinoises, l’USPS se retrouva inondée de colis "à perte", car les accords de l’UPU faisaient que les États-Unis devaient distribuer ces colis à prix cassé. L’administration Trump a tenté de renégocier ces accords en 2019, mais l’impact était déjà profond.
Année | Nombre de colis venant de Chine |
---|---|
Avant 2006 | Environ 20 millions par an |
2010 | Environ 100 millions par an |
2015 | Plus de 300 millions par an |
2019 | Plus de 500 millions par an |
2023 | Environ 800 millions par an |
Ce tableau illustre comment la hausse massive des colis chinois a contribué aux pertes financières de l'USPS, qui doit supporter une grande partie du coût de leur distribution.
En janvier 2024, le prix du timbre rouge est passé à 1,49€, poursuivant une tendance haussière constante. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre des règles fixées par l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse). Pour la période 2024-2025, l'ARCEP a limité la hausse moyenne des tarifs à 17 % sur l'ensemble du service postal, avec une limite annuelle de 10 %. La Poste a donc ajusté ses prix en respectant ces plafonds, avec une augmentation moyenne de 8,3 % en 2024.
L'ARCEP joue un rôle clé dans la régulation du prix du timbre en contrôlant ces hausses et en veillant à ce que les tarifs restent raisonnables tout en garantissant le bon fonctionnement du service postal.
En 2014, la répartition du coût du timbre était la suivante :
En 2024, cette répartition a un peu changé pour refléter l’augmentation des coûts logistiques et énergétiques. La part du transport et des charges opérationnelles a augmenté, tandis que la part allouée à la distribution a légèrement diminué en raison des améliorations mises en place par La Poste.
Le surcoût des livraisons déficitaires des colis chinois peut être rattaché aux charges diverses (16 %). Cette catégorie inclut plusieurs coûts administratifs et financiers, notamment les compensations pour les services déficitaires comme la distribution des colis à perte.
Selon des estimations basées sur les pertes de l'USPS et des données de l'ARCEP, entre 3 % et 5 % du prix du timbre pourrait être utilisé pour couvrir ces pertes. Cela signifie que sur un timbre à 1,49 € en 2024, entre 4 et 7 centimes serviraient indirectement à subventionner la livraison déficitaire des colis chinois.
En d'autres termes, même les consommateurs qui n’achètent pas sur des plateformes comme AliExpress, Shein ou Temu contribuent, via le prix du timbre, à compenser ces pertes logistiques.
Avec la digitalisation croissante des communications et la baisse continue du volume de courrier, La Poste doit adapter son modèle économique. Ces facteurs, combinés à la gestion des colis internationaux et aux décisions de l'ARCEP, influencent directement l'évolution du prix du timbre.
Les colis en provenance de Chine ne sont pas la seule cause de l’augmentation du prix du timbre, mais ils représentent un facteur aggravant. La principale raison reste la baisse massive du volume de courrier, qui pousse La Poste à compenser ses pertes en augmentant les tarifs. À cela s'ajoutent des coûts croissants de distribution, l'inflation, et les choix stratégiques de La Poste qui doit équilibrer son modèle économique.
Cependant, les accords internationaux qui permettent aux colis chinois d'être livrés à un tarif dérisoire accentuent ces difficultés. En obligeant La Poste à acheminer ces colis à perte, ces accords creusent le déficit du service postal, forçant indirectement l’augmentation du prix du timbre.
En conclusion, ce n'est pas "la faute des Chinois", mais plutôt celle d'un système postal international déséquilibré, qui profite aux plateformes chinoises au détriment des services postaux nationaux et des consommateurs. Une réforme de ces accords pourrait alléger la pression sur La Poste et ralentir la hausse du prix du timbre, mais tant que rien ne change, les Français continueront à payer plus cher pour envoyer leurs lettres.
Année | Prix du timbre (€) | Augmentation (%) | Inflation annuelle (%) |
---|---|---|---|
2006 | 0,53 | - | 1,7 |
2008 | 0,55 | 3,8 | 2,8 |
2010 - AliExpress | 0,58 | 5,5 | 1,5 |
2012 | 0,60 | 3,4 | 2,0 |
2014 | 0,66 | 10,0 | 0,5 |
2015 - Banggood et Wish | 0,76 | 15,2 | 0,0 |
2016 | 0,80 | 5,3 | 0,2 |
2017 | 0,85 | 6,2 | 1,0 |
2018 - Shein | 0,95 | 11,8 | 1,8 |
2019 | 1,05 | 10,5 | 1,1 |
2020 | 1,16 | 10,5 | 0,53 |
2021 | 1,28 | 10,3 | 1,6 |
2022 | 1,43 | 11,7 | 5,2 |
2023 - Temu | 1,49 | 4,2 | 4,9 |
2024 | 1,49 | 0,0 | 2,32 |