C’est ma grand-mère paternelle. Enfant, j’ai passé de nombreux moments chez elle, dans sa maison à Chavagne. Je l’ai toujours connue avec un âge avancé, empreinte de la sagesse et de l'expérience que les années lui avaient apportées. Je lui ai posé beaucoup de questions, mais j'ai rarement obtenu de réponses. Même si j'en savais plus sur sa vie que ce qu'elle m'en disait, ce n’est que récemment, environ cinq ans après son décès, que j’ai cherché à en savoir davantage.
Je savais qu’elle était née un peu avant les années 30 et qu’elle était veuve. Son époux, Lucien, est décédé à l’âge de 40 ans. En 2024, à quelques années de cet âge moi-même, cela m'a profondément marqué. Elle a élevé seule ses trois enfants adolescents après la mort de son mari. Mon père, Christian, est né en 1951, avec son frère jumeau, Lucien, et un troisième enfant mort-né. Ces jumeaux grands prématurés rejoignaient leur grande sœur Éliane. Tous les cinq vivaient dans la maison familiale que mon grand-père avait bâtie de ses mains. En 1965, lorsqu'ils se retrouvent à quatre, ils continuent d’y vivre, et ma grand-mère, désormais veuve, restera aussi une mère célibataire.
Certains diront du mal de mon grand-père Lucien, mais ce que je retiens aujourd’hui, c’est que ma grand-mère a été et restera une grande battante. Même si je n'ai pas toujours été d'accord avec elle, même si elle défendait bec et ongles ses enfants, même si elle pouvait avoir des principes rustres ou bornés, Yvonne restera pour moi une grande dame.
Ma grand-mère n'était pas fille unique, elle avait même beaucoup de frères et sœurs. Yvonne est issue d'un premier lit, une expression qui m'a toujours fasciné. Je garde un souvenir d’enfant de ma grand-mère avec ses trois sœurs, Simone et Renée. Les triplettes qui partaient en cure thermale à Dax ou qui caquetaient lors des grandes occasions familiales, telles trois poules de retour au poulailler après une longue absence.
Je ne vais pas vous parler de la sœur de Yvonne, mais, par un curieux hasard de prénoms, de mon autre grand-mère, celle du côté maternel. Simone ne mérite pas autant d’attention qu’Yvonne, mais il faut que vous la connaissiez pour la suite de l'histoire. Je ne sais pas comment exprimer combien je n'apprécie pas Simone. Depuis qu’Henri, son époux, s’est donné la mort avec son arme de chasse, j’ai souvent dit que mon grand-père n’avait pas utilisé son fusil dans le bon sens. Simone est un diable, pire encore, c’est l’antagoniste ultime que tout scénariste rêverait pour ses héros. Un Dark Vador sans la rédemption finale d’Anakin.
Vous commencez peut-être à comprendre l'embrouille. René est bien masculin, je ne vais toujours pas vous parler d'une des sœurs de Yvonne, mais du père de mon beau-père. J'en sais relativement peu sur lui. Il n'a définitivement pas été un bon père : violent, alcoolique, roublard, menteur, manipulateur... Mon beau-père, à l'âge de 13 ans, s'est retrouvé en foyer d'accueil avec ses trois frère et sœurs. René est décédé il y a quelques années, en toute discrétion, quasiment seul.
Vous n'êtes pas obligés de me croire, mais j'ai digressé en début. Maintenant, je vais vous parler du vrai sujet de ce recit, mes parents. J'ai jugé qu'une introduction sur Yvonne, Simone et René était indispensable pour que vous puissiez mieux comprendre la relation que j'ai avec mes parents.
J'ai une grande sœur, issue du premier mariage de ma mère. Fraichement divorcé, notre mère rencontre mon père en 1985. Après un réveillon bien festif, je vis le jour en septembre de l’année suivante. Liline et Christian étaient restaurateurs. Ils ont d’abord tenu une crêperie, puis un restaurant bistro où tous les habitués se rendaient le midi avant de retourner au bureau. Au début des années 90, mes parents ont créé, à partir d'un vieux café de bord de port, une pittoresque pizzeria au style américano-mexicain. Un jour, Liline en a eu marre. Elle a décidé de tout plaquer, de prendre ma sœur et moi, et de repartir à zéro ailleurs. Elle s’est séparée de mon père en 1994, une année qui m'a étrangement davantage marqué par la sortie du Roi Lion au cinéma que par leur séparation.
Quatre ans plus tard, ma mère a décidé de repartir de zéro, mais cette fois à 900 kilomètres au sud. Loin de ma Bretagne natale, une nouvelle vie commençait.
D'abord collègues de travail, ma mère est devenue de plus en plus proche de Didier. Le trouvant super pour notre mère, ma sœur et moi poussions dès que nous le pouvions notre mère vers Didier. Il venait de plus en plus souvent à la maison, même pour les anniversaires. En 2002, ils ont décidé de se mettre ensemble et ont fixé une date de mariage.
Grâce à Didier, j'ai découvert un nouvel esprit de famille, qui m’était jusqu’alors inconnu. Le genre de famille où, lors des repas banquets, les tables sont longues et interminables, mais où l'ambiance et l'amour règnent sans limites.
J'ai découvert aussi Jeannine, la grand-mère de Didier. Un monument de bienveillance, une ambassadrice de l'amour des autres. Ces rares personnes qui peuvent mettre leur vie en pause au profit de celle des autres. Elle a recueilli toute la fratrie peu après le décès de leur mère et de leur mise en foyer d’accueil.
Didier a parfaitement assumé son nouveau rôle. Il a été bien plus un père que mon propre père. Malheureusement, cela n'a pas duré. Liline et Didier ont depuis quelques années étrangement changé. Déjà Didier, qui, quelques temps après le décès de Jeannine, a tourné le dos à beaucoup, puis aujourd'hui, totalement à sa famille.
Quant à Liline, étrangement, plus elle dit ne pas vouloir être comme Simone, plus elle finit par reproduire les mêmes schémas malsains. Didier fait de même, cependant, si Liline a quasiment fini sa transformation en Simone, Didier a heureusement beaucoup de marche avant d'être dans les pas de son père. René n'était clairement pas une bonne personne, mais sans en devenir son odieux personnage, Didier peut mentir, tirer la couverture à lui, se détourner de sa propre famille ou encore sombrer dans les vices que l'alcool et l’argent peuvent apporter.
Aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose de l'esprit de famille. Tout ce que Didier nous avait apporté, il nous l'a repris petit à petit. De son coté, Liline réalise les mêmes manipulations que l'abominable Simone, les mêmes manipulations qui pourtant lui faisaient si mal hier.
Je retiens des leçons de tout cela. Déjà, j'aurais aimé mieux connaître Yvonne de son vivant. Ensuite, j’essaye de ne pas reproduire chez les autres ce qui me fait souffrir. Le mauvais n'est ni un héritage ni une fatalité. J'ai longtemps cru que j'avais dans mes gènes cette culture de l’égocentrisme et de la quête de dominer les autres sans s'excuser de les blesser.
Non. Nous ne sommes pas responsables des fautes commises par notre famille, mais nous ne devons ni les perpétuer, ni faire semblant qu'elles n’existent pas.
De Sahrabi le 28-09-2024 à 20:18 | |
Quand on a toujours sa grand mère faut en profiter tant qu'on peu. je comprend tes remords force à toi <3 |